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Mettre la sobriété énergétique au service de la solidarité

 
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  • 29 Oct, 2022

Résumé – Ce texte est une tribune co-écrite avec Patrick Criqui, Économiste, directeur de recherche émérite au CNRS, et Alain Grandjean, Économiste et président de la fondation Nicolas Hulot. La sobriété énergétique est un levier majeur à court terme pour répondre à la crise de cet hiver comme à long terme pour atteindre la neutralité carbone. Mais il faut mettre en oeuvre des mesures d’incitation et surtout réfléchir à la répartition des contraintes et des bénéfices que va générée cette sobriété.

Introduction

La sobriété est aujourd’hui sur toutes les lèvres. Le gouvernement demande aux français de consommer moins de chauffage cet hiver, on assiste déjà à de la destruction de demande industrielle, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité multiplie les interventions autour de son système EcoWatt de gestion de crise. De manière plus discrète et plus récente, ce sont même des énergéticiens comme TotalEnergies et Engie qui proposent à leurs clients des primes s’ils consomment moins. Quels sont les enjeux autour de la sobriété pour ces énergéticiens comme pour les citoyens, quels sont les enjeux de ces primes, et ne devraient-ils pas être discutés dans le débat public ?

La France va entrer l’hiver prochain dans une situation sans précédent depuis 1956 : sauf températures très clémentes, les pouvoirs publics devront mettre en place des mesures coercitives pour réduire la consommation d’électricité des français. Cette situation exceptionnelle est due à trois facteurs négatifs concomitants :

  • la forte réduction des livraisons de gaz russe qui augmente le coût et limite l’utilisation des centrales électriques fonctionnant au gaz ;
  • une indisponibilité sans précédent du parc nucléaire, liée au cumul d’une vague de travaux d’entretien et de la découverte d’un problème de corrosion sous contrainte concernant une douzaine des 56 réacteurs en exploitation ;
  • la sécheresse historique de cet été, qui a largement réduit la capacité de production et de stockage du système hydroélectrique.

Les prix de marché de l’électricité pour l’hiver prochain sont à des niveaux jamais atteints, plus de 1000 €/MWh, soit 10 fois supérieurs aux prix pré-crise. Ces prix très élevés reflètent le coût que sont prêts à payer certains consommateurs, notamment industriels, pour éviter une rupture d’approvisionnement en électricité. A contrario, le tarif réglementé de vente de l’électricité pour les particuliers, calculé à partir du coût moyen de production et limité par les mesures dites de « bouclier tarifaire », a peu augmenté : +7% entre 2020 et 2022.

Malgré cela, la sobriété énergétique – au sens de la limitation des besoins en services énergétiques – reste aujourd’hui très peu mobilisée. Et pourtant le gisement est là : si 80% des foyers limitaient leur consigne de chauffage à 19°C, cela économiserait 12 TWh d’électricité, soit l’équivalent de 5 réacteurs nucléaires sur l’hiver. Et les gisements d’économie d’électricité sont aussi importants pour les usages d’eau chaude sanitaire (12 TWh) et électrodomestiques (20 TWh).

La sobriété énergétique, une brique nécessaire dans la transition énergétique

Qu’on le veuille ou non, l’énergie ne sera plus jamais abondante comme elle l’a été jusqu’à maintenant. Les études de RTE et de l’Ademe notamment montrent que la neutralité carbone ne pourra être atteinte sans un effort important de sobriété: les délais de développement des filières nucléaires ainsi que les contraintes sur le rythme de déploiement des énergies renouvelables limitent la montée en puissance de la production d’énergie décarbonée. La baisse des consommations devra tout d’abord s’appuyer sur une meilleure efficacité énergétique, mais son déploiement restera limité d’ici l’hiver. Le second levier est la sobriété : un changement vers un comportement sobre en énergie peut être très rapide, si l’incitation est suffisante.

La sobriété énergétique pour alléger la contrainte extérieure

Pour répondre à la demande d’électricité, les centrales au gaz devront fonctionner une grande partie de l’hiver. Toute baisse de la consommation électrique permettra donc de réduire les importations de gaz. Avant la crise, ces derniers représentaient déjà 5 milliards d’euros pour la France. Sur 2022, le coût annuel des importations de gaz devrait s’envoler à plus de 50 milliards d’euros. Si les foyers français exploitaient pleinement leur gisement de sobriété, cela représenterait une économie de 9 milliards d’euros, de quoi créer de nombreux emplois.

La sobriété énergétique est bonne pour le pouvoir d’achat

Hors les précaires énergétiques, déjà contraints à limiter leur consommation, un foyer suivant des bonnes pratiques peut réduire sa consommation d’électricité de 10% à 20%. Cela représente une économie moyenne de 100€ à 200€ sur sa facture. Le fournisseur quant à lui peut, selon les cas, éviter des achats très coûteux sur le marché de gros, ou bien, s’il a déjà assuré son approvisionnement, valoriser l’électricité économisée à un prix 10 fois supérieur à celui proposé aux particuliers. L’économie pour le fournisseur représente entre 500€ et 1 000€ par foyer sur l’hiver. Ces valeurs peuvent être encore plus élevées si les baisses de consommation sont plus marquées lors des heures de tension sur le système électrique.

Mais quelle redistribution ?

Se pose alors la question de la redistribution de cette économie aux consommateurs. A titre d’exemple, TotalEnergies propose une prime de 120€ à ses clients s’ils baissent leur consommation de 20% par rapport à l’hiver précédent. Ce montant est-il à la mesure des enjeux ? Faut-il rémunérer directement les clients pour leur effort de sobriété et ainsi creuser l’écart entre ceux qui peuvent facilement baisser leur consommation et ceux qui sont déjà incapables de se chauffer correctement ? Ne faudrait-il pas plutôt demander aux fournisseurs de reverser une partie substantielle de ces économies pour financer des actions d’aide à la transition pour les précaires énergétiques (rénovations, subventions aux équipements efficaces…) ?

La sobriété énergétique est un levier majeur à court terme pour répondre à la crise de cet hiver comme à long terme pour permettre d’atteindre la neutralité carbone. Mais un effort de communication ne sera pas suffisant pour qu’elle puisse se développer à grande échelle. Il faut mettre en œuvre de forts éléments d’incitation ou plutôt de motivation par la solidarité : que les efforts de ceux qui le peuvent soient mis au service de ceux qui sont en difficulté.

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PRÉCÉDENTSortir du gaz Russe exige de de la sobriété et de l'investissement dans les infrastructures, sans démagogie.
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